02 avril 2006

Viens je t'emmène... (loin des prods de zik)

Une reprise vient de sortir d’une mélodie connue, le Bateau Blanc. Vous savez ? Viens je t’emmène sur l’océan, viens je t’emmène sur mon bateau blanc. Notez, ça vous dit peut-être pas grand chose, mais c’est l’enfance. On ne sait pas qui, ni quand, mais on n’était pas grand. Ca parle d’océan, de soleil levant, au gré du vent...

Cinq notes, par hasard en appuyant sur la télécommande du char à pubs cathodique, ça fait tilt, le réflexe culturel: ça ‘interpelle’ on en veut, on en redemande de la culture. De qui était cette chanson ? Le doigt sur la touche rouge, on cesse de battre en neige nos synapses, on époussette nos bibelots: pelles-à-tarte, mange-disques, virette-au-pot, papier crépon, sans oublier l’ami Gnafron. Qui chantait ça ? L’anarchoïde Perret, Aufray, l’ami Enrico ? On le connait tous ce refrain.

Faut dire qu’en Chiraquie, c’est rare les mélodies. Cinq notes, ça ne passe pas inaperçu : les maisons de disques l’ont compris. Même si c’est couru, on se le prête quand même. Eh oui, le fric c’est plus très chic : après les impôts, et même avant, côté budget culturel, budget tout court, on est vidé comme une citrouille, on bouffe des haricots. Combien coûte un album, un single d’ailleurs ? On ne sait plus, on n’en veut plus. Grâce à la technologie (celle qui nous a permis de faire sauter l'abonnement téléphonique, vous voyez ?), on préfère l’oncle Sam à nos tatas socialo, dont le dogme était de rendre la culture ‘libre et démocratique’, accessible à tous : sauf qu'il fallait se contenter de la Fête de la Musique, de la Techno Parade, du tam-tam sur le parvis Beaubourg : ta Culture, Jack, on la kiffe, yoh. Mais bon, on préfère quand même l’Enfant et l’Oiseau, et le Bateau blanc... en VO et ça, ça se trouve pas sous le sabot d’un Jacquot, ni dans les sacro-saints bacs de la Fnac.

Bref, cette reprise du Bateau blanc, version poupée, dégradée, c’est l’écoeurement, le sous-produit: Viens je t’em-mèn-e : c'est déjà trop : le reste en boums, échos, sirènes, re-boums. Mais on le savait, on espérait, on se fait prendre à chaque fois.

On repense aux cinq notes, à la mélodie d’antan. On a marché sur la lune. L’original. Là aussi, on veut voir. Roule ma poule. Pour le kitch, la machine à remonter le temps. Le verdict ne se fait pas attendre : Distel. Sacha Distel. On aime ou on n’aime pas. Bon, on n’aime pas. C’est physique. La mode Adamo, c'est moyen.

Passé le cap du chanteur, on écoute la VO. Un cliquetis, des pincements, une gratte. L’effet du contraste peut-être. On redécouvre. On trouve ça pas si mal. On lui reconnaît même une belle voix, à bien l’écouter, Distel. Alors pourquoi chercher plus loin ? Sûr que les paroles sont à chier. Mais on s’emmerde, pardon on s’amende : ce chorus de gibus, cette mélodie de préau, ce 45 tours vieux de 45 ans, mené bon train, on sait gré au compositeur. On l’écoute en boucle.

Tout ça pour dire que le concept de remix (et de reprise) musicalement n’a jamais vu le jour en France, et n’est pas prêt de le voir. Reprendre une chanson, est, et sera toujours, synonyme de pognon. C’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe, dit-on : en musique ça se dément. De ce côté-ci de l’Atlantique, le vieux pot existe mais la soupe est à chaque fois moins bonne.

Parce que pour nos ‘artistes’ starisés c’est humiliant, de devoir passer après un autre, sans inventer, innover, s’égocentrer : on laisse la besogne aux débutants. D’un autre côté, les boss des firmes musicales ont éclusé presque tous les rayons des années 80, ils tapent maintenant dans les chansons pour enfants. On se demande où est le culturel ? Quant aux rentiers du show-busness et du star-system, ils pleurnichent. Incapable de dénoncer leurs vrais bourreaux.


L'offre n'est pas la même. Ce qu'on propose aux veaux dans les mangeoires de la Fnac est sans mesure comparable à ce qu'on peut découvrir grâce aux échanges entre particuliers. Pourquoi personne ne le dit ? C'est pas parce que certains loadent le dernier tube de Natacha Sans-Pieds, qu'il faut interdire une offre alternative, riche, adaptée. Tout ce qu'on aime ne se trouve pas dans le commerce (notez le mot). Malgré notre florissante industrie du disque (notez toujours). Malgré tous les euros taxés sur les disques vierges (re-notez). Je récapitule : commerce, industrie, taxe : bon sang mais c'est bien sûr ! C'est ça la culture !

Le problème ?

Le problème c'est qu'on n'a jamais mis les bonnes paroles sur la bonne chanson.

Le jour se lève et j'ai très mal dormi
Des images, des visages se bousculent dans ma tête,
Toute la nuit, comme une obsession,
J'ai téléchargé des chansons

Viens je t’emmène sur l’océan
Viens je t’emmène au peer-to-peer
Vers la lumière du partage de fichiers
Viens je t’emmène loin des maisons de disques

Aujourd'hui j'ai seize ans
Je viens de passer mes plus belles vacances
Avec mon logiciel de partage
Demain, c'est la censure, je retourne au néant.

Ce matin j'ai quarante ans
Je les regarde : elles se chargent encore
Nous avons vécu toutes ces années ensemble
Elles sont belles

Le jour se lève et j'ai très mal dormi
Des images se bousculent dans ma tête,
Mais je m'en fous
Heureusement, j'ai compris qu'avoir des mp3
C'est aussi important que des avi.

Viens je t’emmène sur l’océan
Viens je t’emmène au peer-to-peer
Vers la lumière du partage de fichiers

Viens je t’emmène loin des maisons de disques

Petite précision pour les choucas tombés du nid : il n'est pas question de contester le droit que tient tout artiste sur l'exploitation de son oeuvre, mais de dénoncer le marketing culturel, la vénalité de l'art, la commercialisation de l'oeuvre, le salariat des artistes, considérer l'évolution des technologies et rappeler aux bons-pères que la question du téléchargement ne se traite pas seulement en droit romain, ou pingouin, mais en dilettantisme, en connaisseurs; et on rappelera que le cinéma ne se finance pas, hélas, avec le prix de nos petits tickets...

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